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L'hypothèse einsteinienne et la question de l'objectivité

L?intuition einsteinienne signe avec fracas le triomphe sinon de l?incertitude ou de l?erreur, du moins du provisoire dans l?élaboration du discours scientifique.
Comment la science peut-elle en effet s?accommoder de révolutions aussi radicales ? Peut-on dire, et en quel sens, que la théorie de Newton était « fausse » ? Mais comment juger si la théorie d?Einstein est « vraie » alors que celle de Newton serait « fausse » ? Ou juger que celle d?Einstein est « plus vraie » que celle de Newton ? Comment évaluer la « supériorité » d?une théorie sur une autre ? Peut-on encore parler de « progrès scientifique », si on doit y intégrer de telles « révolutions » ?

La théorie de la Relativité utilise un outillage mathématique simple, mais elle mobilise une approche épistémologique dont découlent des conséquences révolutionnaires. Elle est en effet inséparable d?une analyse précise des pratiques scientifiques : le recours exclusif à l?expérience et à la mesure, au moyen d?un dispositif instrumental, et la formulation de lois énoncées sous forme mathématique. Fondamentalement, cette approche est d?ailleurs celle qui, depuis Newton, caractérise la science moderne :

« Je n?imagine pas d?hypothèses ? hypotheses non fingo. Car tout ce qui ne se déduit point des phénomènes est une hypothèse, et les hypothèses, soit métaphysiques, soit physiques, soit mécaniques, soit celles des qualités occultes, ne doivent pas être reçues dans la philosophie expérimentale. Dans cette philosophie, on tire les propositions des phénomènes et on les rend ensuite générales par induction. » .

Sur le plan expérimental, elle accomplit la théorie newtonienne en l'englobant dans une théorie plus vaste et plus complexe, celle-là se retrouvant dans celle-ci par dégénérescence et y conservant sa valeur à titre d?approximation dans l?ordre de grandeur pour lequel elle avait été conçue.
La révolution einsteinienne met-elle pour autant à bas tout le système classique ? Le vrai devient-il faux et le faux devient-il vrai ? Loin de là : l?immense majorité des anciens résultats restent vrais, même si leur sphère de validité se trouve éventuellement précisée. Ce qui a changé, ce n?est pas le monde, c?est plutôt celui qui mesure, qui observe et fait un discours scientifique sur le monde, c?est désormais une perspective nouvelle dans laquelle sont intégrés les anciens résultats, et en un certain sens modifiés. Ruptures, révolutions, donc ; mais pas au sens lockéen de « table rase ».

Einstein annihile donc l?idée d?une physique de l?absolu au sein de laquelle l?objectivité est définie comme une absence de référence a celui qui décrit l?objet. Au contraire, la Relativité repose quant a elle sur la stricte contrainte des phénomènes observables, c?est-a-dire sur la seule mesure des phénomènes a partir d?un référentiel donne. C?est l?opinion que partagent Prigogine et Stengers quand ils précisent que :

« le fait que la relativité se fonde sur une contrainte qui ne vaut que pour des observateurs physiques, pour des êtres qui ne peuvent être qu?en un seul endroit a la fois et non partout simultanément, fait de cette discipline une physique humaine ? ce qui ne veut pas dire une physique subjective, produit de nos préférences et de nos convictions, mais une physique soumise aux contraintes intrinsèques qui nous identifient comme appartenant au monde physique que nous décrivons»

C?est donc dire que l?objectivité ou la vérité scientifique de l?intuition einsteinienne ne se trouve ni en elle-même ni dans la connaissance courante, c?est-à-dire celle qui domine ou qui fait l?unanimisme, mais dans la capacité qu?a cette théorie elle-même de se dynamiser en franchissant ou à s?affranchissant des formulations plus ou moins nouvelles.

Et Cassirer de commenter : « Kant croyait posséder dans l?ouvrage fondamental de Newton, dans les Philosophiae naturalis principia mathematica un codex immuable de la « vérité » physique pour ainsi dire et il pensait pouvoir fixer définitivement la connaissance philosophique dans le factum de la science mathématique de la nature qui se présentait alors à lui ».

Plus encore que Newton, la physique einsteinienne se refuse à « dire la vérité » sur la nature, l?espace, le temps, à se prononcer sur leur identité supposée. Son objet est de formuler des théories quantitatives, conduisant à des prédictions mesurables. La « vérité » des théories physiques ne porte pas sur autre chose que leur adéquation à l?expérience, la « réalité » des objets de la physique est circonscrite aux dispositifs expérimentaux. Par ses théories mêmes, la physique met dans le monde de l?intelligibilité, et celle-ci tend à conférer à ses objets, en un certain sens, de la « réalité ». Mais ceci n?implique pas que les objets de la physique prétendent correspondre, refléter ou traduire « la » réalité de la nature.

Avec le bouleversement de notions aussi fondamentales que celles d?espace, de temps, de matière, de causalité, il n?est pas étonnant que l?hypothèse relativiste ait suscité et suscite encore des réflexions et des questionnements sur le statut, la nature et les pratiques de la science elle-même. En effet, le passage d?un univers figé à un univers constamment en expansion conforte la thèse fortement développée par l?épistémologie contemporaine d?une science sans cesse en construction.

S?il en est ainsi, doit-on encore faire confiance à une théorie qui porterait en elle-même les germes de son anéantissement ? En d?autres termes, qu?est-ce qui garantit l?objectivité d?une telle hypothèse dans un contexte de remous et de fluctuation épistémologique ? Nous pensons que si objectif veut dire pro-dogmatisme alors l?intuition einsteinienne est irrecevable dans un tel objectivisme. Mais cette intuition n?est finalement possible que dans le dynamisme de la science elle-même.


Clément TSANGA
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